Comment Yuka est devenu le leader français des applis alimentaires

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Près d’un quart des Français utilise cette application évaluant si un produit, alimentaire ou cosmétique, est bon pour la santé ! L’outil YuKa a changé le comportement de nombreux consommateurs et obligé des industriels à réagir afin que leurs produits soient mieux notés dans l’appli. Alors que la jeune pousse part à l’assaut de l’Amérique du Nord, retour sur ses choix technologiques et son succès hors du commun.

En moins de quatre ans, Yuka est devenue la première application mobile alimentaire en France. Elle est aujourd’hui utilisée par près de 22% des Français (1) et compte au total 18 millions d’adeptes dans une dizaine de pays. Son principe est simple : le consommateur scanne le code-barres d’un produit, avec son smartphone et Yuka affiche une note globale ainsi que des informations détaillées concernant l’impact sur la santé dudit produit. Une bouteille d’un célèbre soda américain : attention l’application donne une note de 0/100 avec une pastille rouge (risque élevé) et la mention «Mauvais» pour la santé. Mieux vaut prendre une alternative, comme certaines eaux gazeuses citronnées, que recommande l’application. Un paquet de farine : «Excellent», indique Yuka, en précisant la faible teneur en sucre, en graisses saturées ou en sel.

Gratuite, l’application est aussi disponible en version Premium, pour 15 euros par an, avec notamment un mode hors connexion. Cette version payante est au cœur du business model de Yuka. La jeune pousse commercialise également un calendrier des fruits et légumes de saison en ligne, un programme web de nutrition et des eBook de recettes. « Ce business model nous permet aujourd’hui d’être à l’équilibre », confie Julie Chapon, co-fondatrice de Yuka, en charge de la communication, du service client et de la création de contenu.

Les trois fondateurs de Yuka (de g. à d.) : Benoit Martin, Julie Chapon et François Martin.

L’idée lumineuse d’un père de famille

La start-up emploie 11 personnes à Chatou, dans les Yvelines. Sa plateforme est largement déployée en Europe (France, Belgique, Suisse, Luxembourg, Espagne, GB et Irlande). Et depuis le début de l’année 2020, Yuka est parti à l’assaut de l’Amérique du Nord, Canada inclus.

Comment expliquer le succès de cette jeune pousse hexagonale? Pour le comprendre, il faut d’abord revenir à la genèse du projet. En 2016, Benoît Martin, alors employé de BNP Paribas, cherche un moyen de mieux connaître la composition des produits qu’il achète pour ses enfants. « Il a essayé de décrypter les étiquettes des produits en supermarché. Mais il s’est vite retrouvé perdu au milieu de la quantité d’informations et de leur complexité. C’est là qu’il s’est dit qu’il faudrait mettre à disposition des consommateurs un moyen simple et rapide d’analyser la composition d’un produit », se rappelle Julie Chapon. Le père de famille va alors partager son idée avec son frère, François, ingénieur en informatique, ainsi qu’avec Julie Chapon, consultante pour le cabinet de conseil Wavestone. « Nous avons tout de suite trouvé l’idée géniale, d’autant plus que nous éprouvions les mêmes difficultés pour choisir de bons produits », poursuit-elle.

La base de données de Yuka intègre les informations d’industriels. Mais ils ne participent pas au financement de la plateforme, afin de garantir son indépendance.

En février 2016, ils participent à un concours de start-up, le Food Hackathon, co-organisé avec le NUMA. « Nous y avons développé le concept pendant tout un week-end et nous avons fini à la première place.» Confortés par ce premier succès, ils s’investissent ardemment dans ce qui est désormais un projet de start-up. « Pendant plusieurs mois, nous avons travaillé tous les soirs et les week-ends, en parallèle de nos emplois respectifs.» Après un passage par l’école Ticket for Change et son programme d’accompagnement pour « les acteurs de changement », ils créent la société Yuka SAS dès la fin 2016 et lancent la première version de l’appli en janvier 2017. Le succès est immédiat et surprend même les fondateurs. « On s’était fixé l’objectif d’atteindre 100000 utilisateurs en un an et on en a obtenu un million ! » En 2018, l’application est étendue aux produits cosmétiques et d’hygiène, en complément de l’alimentaire. En mars 2019, Yuka débute son internationalisation avec la Belgique, puis enchaîne sur d’autres pays.

Base de données PHP, infrastructure serverless et machine learning

Le cœur de la plate-forme est une base de données référençant plus de 1,5 million de produits, sur lesquels est appliqué un système de notation. « Cette base de données produits est gérée en PHP avec le framework Symfony », confie François Martin, co-fondateur. « Nous avons opté pour l’hébergement cloud public chez Google & Digital Ocean, avec une partie de l’infra en serverless », poursuit-il. Rappelons que le principe d’une infrastructure serverless repose sur une exécution automatisée du code d’une application. Le développeur charge sa fonction à exécuter sur le service cloud et c’est l’opérateur qui assure son exécution, le dimensionnement des ressources machines et l’équilibrage de charges (lire L’Informaticien n°165). Le principal bénéfice de ce type d’architecture est que l’équipe de développement peut se concentrer sur son cœur de métier : le codage. « Nous n’avons pas d’administrateur système dans l’équipe, notamment grâce à l’utilisation du serverless », précise François Martin.

Pas d’IA pour les trois principales fonctions de l’application (scanner, notation et recommandation), mais un algorithme basé sur trois critères : la qualité nutritionnelle (Nutri-Score), la présence d’additifs et la dimension biologique.

Comment est alimentée cette base de données ? Jusqu’en janvier 2018, Yuka exploitait les informations de l’association Open Food Facts, collectées par les consommateurs. Aujourd’hui, la start-up exploite celle d’une autre start-up, Alkemics, qui propose une plate-forme Saas de collaboration entre les marques et les distributeurs. La base de données de Yuka est donc, en partie, alimentée directement par des industriels. N’y a-t-il pas un risque de conflit d’intérêts ? « Ces informations correspondent à celles obligatoirement inscrites sur les étiquettes des produits : il n’y a aucun conflit d’intérêts ! Nous récupérons ces données de manière gratuite via la plate-forme Alkemics, qui est utilisée pour le partage de données entre marques et distributeurs. En plus des nombreux contrôles automatiques qui existent, une personne est dédiée à la vérification des données que nous recevons via Alkemics. Enfin, nos utilisateurs sont invités à nous contacter s’ils constatent des erreurs dans ces données », précise Julie Chapon.

La base de données de Yuka est aussi alimentée par les contributions des utilisateurs, facilitées par des outils de machine learning. « Nous avons récemment simplifié la procédure d’ajout des produits dans notre base en y intégrant le machine learning. Jusque-là, l’utilisateur devait ajouter une partie des données à la main, notamment les valeurs nutritionnelles, en plus de nous fournir les photos du produit. Désormais, nos utilisateurs n’ont plus qu’à prendre en photo les différentes faces du produit et notre système en extrait les informations nécessaires.» Les outils de machine learning exploitent donc de l’analyse d’image et des fonctions de Natural Language Processing (NLP) pour identifier les éléments pertinents sur le packaging. Du machine learning est aussi utilisé pour valider les contributions des utilisateurs : « En détectant des labels, en vérifiant la cohérence des informations renseignées ou le type de produit à partir de la photo », précise François Martin.

Un système de notations qui ne fait pas l’unanimité

L’autre volet de la plate-forme est son système de notation. Il est basé sur un algorithme générant la note en fonction de trois critères : la qualité nutritionnelle (60% de la note), la dimension biologique (10%) et la présence d’additifs (30%). Cette notification a été critiquée par plusieurs scientifiques. Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Insern, a ainsi rappelé au micro d’Europe 1, fin 2018, que la structure des notes de Yuka ne repose sur aucune base scientifique. « Yuka prend en compte la qualité nutritionnelle mais rajoute des informations qui ne sont pas du tout fiables pour l’instant du point de vue des preuves scientifiques ». Par exemple, un produit non bio voit automatiquement sa note baisser, alors qu’il n’est pas forcément mauvais pour la santé. Anthony Fardet, chargé de recherches à l’Inra, a également émis des réserves sur l’application. « J’ai épluché la législation et les études sur les quelque quatre cents additifs existants et je n’aboutis pas du tout aux mêmes conclusions que Yuka », a-t-il déclaré à la revue Capital, fin 2018. De son côté, la start-up explique que sa notation a été pensée pour répondre aux besoins des consommateurs. Or, la présence d’additifs dans les aliments est une question de premier ordre pour eux. Ainsi : 51% des Français utilisant une application alimentaire estiment que la présence d’additifs est un critère « extrêmement important » (2). Les autres principales préoccupations sont la quantité de sucre (37%), de sel (33%) ou de graisse (33%). Yuka a donc été pensé pour les utilisateurs, en fonction de leurs préoccupations plutôt que celles des scientifiques, ce qui est sans doute une autre raison de son succès.

Un impact réel sur l’industrie

L’utilisation de Yuka a un impact considérable sur l’acte d’achat. Selon une étude commandée par la jeune pousse au cabinet Kimso, réalisée en avril 2019, pas moins de 94% des utilisateurs ont arrêté d’acheter certains produits à cause d’une note trop basse. Sachant que l’appli est utilisée par près d’un quart des Français, son impact commercial est loin d’être négligeable. Du coup, un nombre grandissant d’enseignes et de marques ont choisi de modifier la composition de certains produits, afin qu’ils soient mieux notés dans Yuka. C’est le cas notamment de Monoprix, Leclerc, Intermarché et Auchan, mais aussi Nestlé, Unilever ou encore Fleury Michon. « Yuka est une tendance de fond, il est donc essentiel pour nous, Intermarché, qui sommes producteurs et commerçants, d’être proactifs pour avoir les produits les mieux notés possibles. C’est pourquoi nous allons reformuler neuf cents de nos recettes en supprimant 142 additifs », a déclaré en 2019 Thierry Cotillard, président d’Intermarché.

Face à une très forte demande des utilisateurs, Yuka s’est lancé également
dans l’analyse des produits cosmétiques et d’hygiène en juin 2018.

« Des marques nous contactent en amont de la sortie de leurs nouveaux produits », souligne Julia Chapon, « afin d’évaluer leur composition et identifier les aspects sur lesquels ils peuvent progresser. Pour autant, il y a encore du chemin à parcourir.»

D’autres industriels sont en revanche récemment montés au créneau. En début d’année, la Fédération française des industries des aliments conservés (FIAC) a attaqué Yuka en justice. Ce n’est pas le système de notation qui a été mis en cause, mais un billet posté par Julie Chapon sur le blog officiel de Yuka. Ce post donnait des informations sur les avantages et les inconvénients des emballages alimentaires : verre, plastique, aluminium, carton. La FIAC a estimé qu’il y avait de « fausses allégations et des amalgames trompeurs entre l’aluminium et la conserve ». Le tribunal de commerce de Versailles a donné raison à la Fédération, en mars dernier. « Nous avons simplement été condamnés à modifier une phrase de l’article, qui pouvait porter à confusion », se défend Julie Chapon.

Un incident de parcours qui ne devrait pas ralentir la progression de Yuka. La jeune pousse va poursuivre son internationalisation, avec des déploiements prévus en Italie, au Portugal et en Allemagne. « Nous avons prévu d’intégrer une analyse de l’impact environnemental des produits alimentaires, qui se basera sur trois critères : l’amont agricole (matières premières), la provenance et l’emballage. La sortie est prévue en France en octobre, un peu plus tard dans les autres pays », confie Julie Chapon. « Nous allons également enrichir notre version Premium en proposant par exemple davantage d’alertes portant sur les préférences alimentaires (végétarien, vegan, sans porc, etc.) ».

Enfin, côté plate-forme technique, un moteur de recommandation qui utiliserait l’IA est à l’étude « pour permettre de personnaliser les recommandations par utilisateur », conclut François Martin.


1 : étude Ifop réalisée pour Charal en octobre 2019 intitulée « Usage et impact des applications alimentaires sur l’alimentation des Français ». Yuka rassemble 88% des utilisateurs de ces applications, devant Open Food Facts (11%), Y’a quoi de dedans ? (7%), Scancup (7%), Scan-eat (3%), Is my food good (3%) et d’autres applications en dessous de 3%.

2 : étude Ifop réalisée pour Charal en octobre 2019 intitulée « Usage et impact des applications alimentaires sur l’alimentation des Français ».


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