Rencontre avec Éric Léandri, cofondateur et PDG de Qwant

« Si vous faites de la recherche classique, vous aurez de la très bonne qualité sur Qwant »

Alors que personne ou presque ne misait sur sa réussite lors de son lancement en 2013, le moteur de recherche français Qwant est toujours là. Et bien là ! Les Européens sont de plus en plus préoccupés par la protection de leurs données personnelles. Une opportunité que Éric Léandri, cofondateur et PDG de Qwant, ne risque pas de laisser passer. COMMENT SE PORTE QWANT ?  Plutôt bien ! Nous sommes présents essentiellement en Europe, et surtout en France, en Allemagne et en Italie. En ce moment, la croissance de Qwant est de 20 % par mois. Nous avons à peu près 4 % de part de marché en France, 1,2 % en Allemagne, et 0,8 % en Italie. Qwant est traduit en 28 langues et présent dans 42 pays. Au mois de novembre dernier, nous avons enregistré 52 millions d’utilisateurs et nous avons dépassé les 10 milliards de requêtes en 2017, contre 2,6 milliards l’année précédente. Une chose est sûre, on ne fait que croître… Idem pour la croissance du chiffre d’affaires, qui est environ de 20 %. Nous gagnons notre vie avec le même business model que celui que Google utilisait entre 1997 et 2004. Concrètement, c’est de l’affiliation à l’ancienne, c’est-à-dire que lorsqu’un internaute recherche par exemple un iPad et qu’il clique dessus pour se rendre sur un site marchand, Qwant perçoit une commission. Ce vieux business model continue à rapporter beaucoup d’argent sans avoir à enfermer les utilisateurs dans une bulle de filtres comme le fait Google. C’est la genèse de Qwant, nous n’utilisons ni de cookies, ni de dispositifs de traçage et nous n’enregistrons pas l’historique de navigation de nos utilisateurs. EST-IL FACILE D’EXISTER FACE À GOOGLE ? LE NUMÉRO 1 MONDIAL, AVEC 92,9 % DE PDM DANS LE MONDE, VOUS MET-IL DES BÂTONS DANS LES ROUES ?  Ce serait prétentieux de notre part de dire que Google nous met des bâtons dans les roues. Toutefois, pendant les trois années qui viennent de s’écouler, il était impossible d’installer Qwant comme moteur de recherche par défaut dans Chrome pour Android. Jusqu’au 1er janvier 2018, Google bloquait Android en disant aux fabricants : « Si vous ne mettez pas la suite Google par défaut, vous ne pouvez pas être certifiés sur Android. » Suite à une décision de la Commission européenne, ils n’ont plus le droit de le faire, mais ils ont déjà trouvé une parade en payant les fabricants pour être sûr qu’ils installent leur suite par défaut. Il s’agit évidemment d’un abus de position dominante, donc nous allons, une fois encore, demander à l’Europe de régler le problème. Google a déjà reçu des amendes considérables pour Google Shopping – avec plus de 2 milliards d’euros – et ils risquent de payer encore plus cher pour Android, mais pour eux ce n’est rien, même si cela commence à faire beaucoup d’argent. ÊTES-VOUS OBLIGÉ DE FAIRE APPEL À L’EUROPE ?  Cest une obligation, car sinon, Google bloque complètement le marché et nous ne pourrions pas nous installer dans les téléphones. Les téléphones sont quand même l’avenir de la recherche : Google vient de dépasser les 50 % de recherche sur les mobiles. À titre de comparaison, le taux de recherche sur mobile pour Qwant n’est que de 15 % actuellement. Il faut dire que c’est un enfer pour se positionner dans le secteur de la mobilité. Jusqu’à présent, les seuls internautes qui utilisaient Qwant sur des terminaux mobiles le faisaient par le biais du navigateur Firefox. Mais si vous avez installé récemment Firefox, vous recevez désormais une alerte : « Attention, vos paramètres de recherche sont peutêtre obsolètes, veuillez les réinstaller », et là vous tombez à nouveau sur… Google. Depuis peu, Qwant est devenu obsolète sur Firefox, car Google vient de payer la fondation Mozilla pour être le nouveau moteur de recherche par défaut du navigateur. Google ne nous laisse pas le choix. Au-delà de mes fonctions chez Qwant, je suis aussi président de l’Open Internet Project, qui représente quelques centaines de sociétés qui ont porté plainte au niveau européen contre Google Shopping. Maintenant, nous allons porter plainte pour Android. EST-CE QUE VOUS  LEUR FAITES PEUR ?  Eric Schmidt, le PDG de Google, a déjà parlé de Qwant devant la Commission européenne en disant ironiquement que « À présent, vous pouvez vous acheter une tente de camping sur le nouveau moteur de recherche français ! » Cela m’a fait beaucoup rire, car je pense qu’en évoquant une tente de camping, il voulait en fait parler de la taille de nos bureaux. Sundar Pichai, le directeur général de Google, a déjà également parlé de nous à deux reprises, et croyez-moi, il ne parle pas tous les jours de start-up. Le vrai problème pour Google, c’est notre business model, car nous sommes éthiques. On protège nos utilisateurs, donc tous ceux qui sont chez nous ne sont plus en interaction avec nos amis de chez Google. Cela représente un trou dans leur « raquette » qui consiste à tout savoir sur tout le monde. Quand ce trou s’agrandit, tous ceux qui y interagissent sortent de la « raquette » de Google qui ne sait plus ce qu’il s’y passe. Il n’y pas d’interaction, donc cela sort du business model classique qui consiste à dire : « Si vous me donnez toute votre data, je vous donnerai l’heure. Mais pas la montre. » Comme on fait absolument l’inverse tout le temps, on représente un vrai problème. Si Google voulait faire un Qwant, ce serait assez facile : il faut arrêter de traquer les gens, rouvrir Internet, remettre les réponses de tout le monde, arrêter de verticaliser uniquement ses propres résultats, et réintégrer par exemple les vidéos des différents acteurs comme Dailymotion et Vimeo dans les résultats de Google Vidéos. Mais en faisant ce que fait Qwant, c’està-dire afficher les résultats de tout le monde, il faudrait que Google accepte de perdre 500 milliards à la Bourse, car quand l’entreprise faisait tout cela par le passé, elle pesait 100 milliards. Aujourd’hui, elle vaut 600 milliards en Bourse parce qu’elle bloque le marché. EN TERMES DE QUALITÉ DE RECHERCHE, COMMENT VOUS SITUEZ-VOUS ?  Cela dépend, Google possède lindex le plus large du monde. Pour des recherches classiques, la pertinence de Qwant est de 92 % par rapport à celle de Google. Si vous effectuez des recherches sur Facebook, Wikipédia, la Fnac ou le magasin du coin, vous trouverez tout avec Qwant. Ce que nous n’avions pas jusqu’à présent, c’était de la cartographie, mais d’ici peu nous en aurons une complète. La qualité s’améliore tout le temps. Si vous faites de la recherche classique, vous aurez de la très bonne qualité sur Qwant, mais si vous faites de la recherche vraiment pointue, vous aurez peut-être éventuellement besoin de retourner sur Google. Mais attention, vous pouvez être étonné, car le problème provient aussi parfois de la qualité perçue. Il faut du temps pour se familiariser avec un nouveau moteur de recherche, et il est intéressant de comparer les résultats entre Qwant et Google. Quelques fois, le problème ne vient pas du moteur de recherche, mais tout simplement de la requête qui est tout simplement difficile à trouver. Dans ce cas-là, il suffit souvent de juste la modifier. COMBIEN DE TEMPS AVEZ-VOUS MIS POUR CRÉER L’ALGORITHME DE QWANT ?  Ce nest pas fini On continue à développer notre algorithme Iceberg, mais on a également plusieurs algorithmes basés sur lIntelligence artificielle qui vont sortir. Ils ne font que s’améliorer et on accélère fortement grâce à notre partenariat avec l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, l’Inria, et nos nouvelles équipes spécialisées en Intelligence artificielle. Jusqu’au mois de juin dernier, nous étions 55 chez Qwant, contre 149 aujourd’hui. Nous avons notamment 115 ingénieurs, professeurs et doctorants auxquels s’ajoutent cinq laboratoires avec l’Inria, un laboratoire Ircam, l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, et un partenariat avec le MIT. Autant dire que cela fait du bien… APRÈS QWANT JUNIOR EN 2015, VOUS VOUS APPRÊTEZ À LANCER UN NOUVEAU SERVICE BAPTISÉ QWANT MUSIC. CES INNOVATIONS PEUVENT-ELLES VOUS PERMETTRE DE GAGNER DES PARTS DE MARCHÉ ?  Si vous faites du Google contre Google, cela se termine toujours de la même manière. Si vous prenez par exemple Exalead, ils sont très bons, mais ils ont terminé chez Dassault System à faire du B to B. Bing va peutêtre repartir à la hausse, mais pour le moment il est plutôt à la baisse, et je ne parle même pas de Yahoo et des autres. Si vous faites du Google, vous êtes en train de jouer contre le numéro 1 de la Planète, qui a plus d’ingénieurs, plus de serveurs, plus de puissance et plus d’argent que vous. Vous pouvez jouer, mais à mon avis, il vaut mieux jouer à autre chose… Pour cela, vous devez vous différencier, choisir une alternative crédible et la créer pour proposer aux gens des choses que l’on ne trouve plus sur Internet. C’est le leitmotiv de Qwant Music. Aujourd’hui, si vous cherchez de la musique sur Google, vous trouvez YouTube avec aussi du Knowledge, mais ce n’est pas toute la musique. À Paris, vous avez six cents start-up dans le monde de la musique, ou même 1 200 à Berlin. Où sont-elles sur Google ? Où sont les artistes indépendants ? Où sont les informations, les interviews, et les autres choses comme les Facebook, les Twitter et les Instagram de vos artistes préférés ? Ces informations existent bien sûr, mais pour les trouver, il faut à chaque fois aller les chercher ailleurs. Pour répondre à cette problématique sur Qwant Music, nous avons mélangé le Web, le Web social, les photos, les news, les vidéos en donnant aux utilisateurs des espaces de recherche qui sont ouverts. L’idée, c’est de les envoyer absolument partout sans aucune restriction, que cela soit vers du SoundCloud, du iTunes, du Deezer, du Facebook, ou même du YouTube.
2013 Lancement de Qwant en France et en Allemagne 2016 Levée de fonds de 25 millions d’euros 2015 Lancement de Qwant Junior 2018 Lancement de Qwant Music 2014 Entrée au capital du groupe Axel-Springer 2017 Entrée au capital de la Caisse des Dépôts pour 15 millions d’euros

QWANT MUSIC : LE NOUVEAU PARI DE QWANT

Une plate-forme neutre et universelle qui regroupe, via une seule et même interface, un index mondial des catalogues de musique, l’intégralité des informations pour chaque artiste connu ou non, ou encore des outils pour détecter de nouveaux talents ou apprendre à jouer de la musique… voici l’ambitieux projet de Qwant Music. Pour cela, l’entreprise a noué un partenariat avec l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) et créé une filiale en Corse, à Ajaccio, où des ingénieurs indexent toutes les données de l’univers musical de la Planète. Encore en gestation, Qwant Music n’est pas un énième service calqué sur la concurrence, mais une innovation qui serait très attendue, notamment par les majors comme Universal, mais aussi les maisons de production et les artistes indépendants. Selon Frédérik Rousseau, un compositeur de renom qui représente l’Ircam pour ce projet, les majors ne posséderaient quasiment aucune données sur les artistes qu’ils ont signés en dehors de leurs signatures et de leurs disques. Accessible via le moteur de recherche, Qwant Music propose d’agréger toutes les données des artistes sur une même page, qu’il s’agisse de leurs œuvres, des paroles de leurs chansons, des notes de leur musique, mais aussi leurs photos, leurs vidéos, leurs interviews, leurs dates de concert, ou encore leurs informations provenant de leurs réseaux sociaux. À destination du grand public et des professionnels de la musique, le moteur donnera également accès aux différentes plates-formes de streaming musical tels que Apple Music, Deezer, Spotify, SoundCloud, ou encore YouTube. Pour rester dans la légalité et que les artistes puissent être rémunérés, Qwant doit encore discuter avec les principaux acteurs de l’industrie musicale : Apple et Universal font partie des premiers à avoir donné leur accord. Un pari audacieux qui pourrait bien s’avérer gagnant.