En se numérisant, la culture se rapproche de son public

VOD Factory propose aux organisateurs de festivals ou d’évènements sportifs une plateforme de SVOD clé en main, afin qu’ils puissent rester en contact avec leur public au-delà de la seule période de l’évènement.
Si la culture a pu être aussi avidement consommée lors du confinement, c’est avant tout parce que le secteur n’a pas attendu la Covid-19 pour faire sa transformation numérique. Une transformation qui s’est néanmoins accélérée ces derniers mois, pour le meilleur ou parfois pour le pire. Au cours de la crise, les secteurs de la culture et de l’événementiel étaient de ceux qui occupaient le devant de la scène. Et pour cause! Salles fermées, festivals, salons et concerts annulés, représentations interdites, tournages interrompus… le milieu a été frappé de plein fouet par la crise, tant et si bien que l’exécutif peine encore à régulariser la situation, là des intermittents, ici des diffuseurs. Pourtant, toute vie culturelle ne s’est pas arrêtée lors du confinement. On a vu fleurir sur les réseaux sociaux des concerts improvisés d’artistes dans leur salon, Fabrice Luchini conter La Fontaine en direct ou encore des rediffusions de telle ou telle pièce. Autant d’initiatives permises par le numérique, car la culture n’a pas attendu la Covid-19 pour faire sa transformation. Sans doute moins dans la création d’œuvres, dont les formes restent traditionnelles malgré l’émergence de nouveaux champs, portés par exemple par la réalité virtuelle, le jeu vidéo, de nouvelles méthodes de post-production, etc. C’est toutefois dans l’approche du public que le numérique trouve vraiment sa place. « La conduite du changement côté visiteurs était assez profonde », nous explique Philippe Rivière, alors chef du service numérique de Paris Musées. Début 2013, seuls six des musées représentés au sein des Musées de Paris avaient un site internet, tandis que la médiation se faisait presque exclusivement in situ par audioguide.

Des projets à foison

Sept ans plus tard, l’ensemble des quatorze lieux membres de l’établissement public disposent de leur propre site, sont accompagnés dans leur approche des réseaux sociaux et la médiation a pris de nombreuses autres formes, à grands renforts de tests de réception menés auprès des visiteurs. En outre, de nombreuses collections, pour un total de 10 000 images, ont été numérisées et mises à libre disposition du public à l’aide du projet européen Gigapixel. De même, les modèles 3D d’une trentaine de sculptures sont proposés aussi bien in situ qu’en ligne, sur Sketchfab, permettant au public de les manipuler virtuellement, voire de les imprimer en 3D. La réalité virtuelle et mixte a elle aussi été mise à contribution, notamment pour le Musée de la Libération de Paris qui propose une visite virtuelle du QG souterrain de Henri Rol-Tanguy. L’expérience a si bien fonctionné que les Musées de Paris sont en cours de transition vers les Hololens 2 de Microsoft. « Cette transformation a suivi un procédé assez itératif : elle venait d’abord du service numérique mais, depuis un ou deux ans, les demandes viennent des autres services. Nous avons réussi à créer une certaine acculturation au numérique, qui fait désormais partie de l’institution », raconte Philippe Rivière, qui souligne l’importance d’une vision stratégique du numérique pour pouvoir répondre aux besoins des musées. « On positionne vraiment le service numérique comme un poste de pilotage et un centre d’expertise au services des musées.» Autre secteur, mais même objectif, le festival d’Avignon est depuis 1947 le haut lieu du spectacle vivant, théâtre en tête. Sa transformation numérique est passée par la refonte de son site web de sorte à correspondre aux usages des spectateurs. « Quand je suis arrivée en 2014, nous avions déjà un site internet. Celui-ci était calé sur la temporalité très particulière du festival, avec une période très calme, de préparation, de septembre à mars, puis des phases plus importantes, avec la conférence de presse levant le secret sur la programmation de la prochaine édition, puis l’ouverture de la billetterie et enfin une période brûlante correspondant au festival lui-même », note Virginie de Crozé, directrice de la communication et des relations avec le public pour le festival d’Avignon. C’est par l’entremise de Zoom qu’a eu lieu l’habituelle conférence de presse du président du Festival d’Avignon. Et si l’événement en lui-même a été annulé, son organisateur a fait appel à une quarantaine d’auteurs pour réaliser cette vidéo de présentation numérique du festival.

Le temps de la culture

Cette question de la temporalité en concerne beaucoup dans le monde de la culture. VOD Factory est une jeune entreprise française née en 2013 qui, à la fin 2018, pivote son modèle et développe une plateforme SaaS mettant à la disposition de ses clients à la demande un service de vidéo clé en main. Une sorte de Netflix des gens qui ont du contenu audiovisuel à monétiser, en somme. Elle s’adresse aussi bien aux clubs sportifs qu’aux festivals, la start-up a par exemple signé récemment les rencontres professionnelles Série Series de Fontainebleau et le Festival du film court en plein air de la cinémathèque de Grenoble. « Quand bien même le live, le contact avec le public reste la norme dans ces secteurs, ces structures ont le besoin, l’envie d’avoir un média qui peut toucher tous leurs publics toute l’année, au-delà de cette période courte qu’est celle du festival », nous confie Aurélien Clerc, le CEO de VOD Factory. « La stratégie de transformation numérique de la culture était déjà existante, mais pour les événements physiques, ce n’était souvent pas une priorité. La Covid a accéléré tout ça même si cette lame de fond existe depuis longtemps et est dans le sens de l’histoire », ajoute-t-il, précisant que sa société n’avait jamais eu autant d’appels entrants que ces derniers mois. Car la mise à disposition de contenus en ligne est un moyen de rester en contact avec le public, même si artistes et spectateurs sont confinés à leur domicile. D’autant que, par ce biais, partenaires et annonceurs restent présents même en dehors de la période de l’événement à proprement parler. Les Musées de Paris ont numérisé et mis en ligne les modèles 3D de 26 sculptures, allant du masque mortuaire de Victor Hugo à la statue de Cybèle exposée au Musée Cognacq-Jay. Proposer du contenu a justement été l’objectif du Festival d’Avignon. Après un premier chantier consistant à rendre le site responsive, l’équipe réalise en 2017 que celui-ci, vieillissant, ne permettait pas au festival de se développer comme il le souhaitait. Son site n’est pas qu’une vitrine : il s’agit également d’une archive, d’une « mémoire » des 74 éditions passées du festival, soit cette année 3 000 vidéos et 2 000 photos par an. « Il était important pour nous de faire migrer ces archives, parce que le Festival a une histoire très riche mais aussi parce qu’en étudiant le public, nous nous sommes aperçus que nos spectateurs choisissent leurs spectacles en regardant les éditions précédentes. C’est un usage réfléchi que nous accompagnons », indique Virginie de Crozé. « L’autre donnée importante dans la refonte du site était de pouvoir être rapide dans la recherche d’informations : on a épuré, revu l’arborescence et on a vu qu’à tout moment du processus spectateur, le public veut trouver l’information, pratique, culturelle, historique très vite, il est capital qu’il n’y ait pas de perte de temps. À tel point qu’on a mis en place un petit outil qui permet d’entrer ses dates de séjour et de voir tout ce qu’il y a sur ce créneau en prenant en compte les durées des spectacles, les durées de déplacement entre salles… » Pour la partie vidéo notamment, mais aussi le suivi des dates et des tournées, le Festival travaille avec le Centre de ressources internationales de la scène, ou Cris, et ses plates-formes theatre-contemporain.net et theatrevideo.net, qui hébergent les captations vidéo des pièces jouées au Festival que l’on retrouve sur le site d’Avignon, qui exploitent les API de la plate-forme.

L’inévitable question du financement

Les technologies sont donc déjà utilisées par le monde de la culture, il serait erroné de s’imaginer que ce n’est qu’avec le confinement que ce secteur a découvert le numérique. « Pour les artistes et les auteurs, ça n’a rien changé, sinon les moyens de toucher le public, moyens qui existaient déjà », souligne Catherine Vincent, directrice de la Stratégie numérique et de la Communication de la SACD. « Le secteur de la musique est assez emblématique dans ce secteur là, l’émergence des plates-formes type Spotify et Deezer ont eu un impact sur l’industrie du disque, mais aussi sur le live, qui a pris une part prépondérante dans cette industrie. Dans le monde du théâtre, c’est exactement la même chose avec la captation et la diffusion sur les réseaux. À cette volonté de partage s’ajoute une prépondérance du contact avec le public, qui a disparu le 18 mars. C’est vers le monde numérique que s’est déplacé ce partage. » L’utilisation du numérique n’a donc pas fondamentalement évolué avec le confinement, contrairement au modèle économique. Pendant trois mois, la culture a été sur-consommé en ligne, ce que Catherine Vincent qualifie de «bulle ». « Le numérique sauve un peu la mise mais ce n’est qu’un pis-aller », ajoute sa collègue, Marie-Noëlle Guiraud, directrice des Systèmes d’information de la SACD. On a certes vu des créations originales, des initiatives souvent faites de bric et de broc lors du confinement, mais ce sont surtout des œuvres existantes, du stock, qui a été utilisé et arrive aujourd’hui à épuisement, avec les difficultés de création que l’on connaît pour les tournages de séries et de films ou encore les représentations théâtrales. « D’autant que le taux de remplissage des festivals en ligne est beaucoup plus faible que pour les festivals traditionnels, et que les festivals proposaient déjà des formats numériques avec des retransmissions en ligne, ce sont deux choses complémentaires mais deux expériences différentes. Or, là c’est toute la partie présentielle qui a disparu », signale Catherine Vincent. Sans billetterie et avec des annonceurs de plus en plus frileux, les initiatives de ces derniers mois n’ont pas été rentables. « Pendant la crise, on a assisté à un phénomène paradoxal où tout le monde se trouvait derrière son écran, mais la diffusion ne générait pas de recettes », déplore-t-elle. « Voilà des années que la culture est à la recherche de nouveaux mécanismes économiques liés au numérique, on constate que ça peine à émerger. L’internaute n’a pas propension à payer en ligne, or les outils de diffusion traditionnels reculent par rapport aux plates-formes numériques. Et si certaines jouent le jeu de la rémunération, Netflix par exemple, ce n’est pas assez pour compenser la baisse des diffusions traditionnelles. »

Covid comme accélérateur

Au final, le numérique ne fait pas que du bien à la culture, sinon en termes de visibilité et de maintien du lien avec le public. Le Grand Palais devait inaugurer son exposition consacrée à Pompéi le 25 mars dernier, mais les restrictions sanitaires se sont imposées quelques jours auparavant. Le musée fait alors le choix de proposer gratuitement aux internautes une partie de l’exposition. Une «avant-première» faite d’images, de vidéos, dont la diffusion sur France 5 et en replay du documentaire Les dernières heures de Pompéi, et de contenus audio. Mais aussi de la réalité virtuelle et augmentée, avec l’exploration en VR d’une maison pompéienne avant l’éruption du Vésuve ainsi qu’une reconstitution de la célèbre sculpture Livie en réalité augmentée. Pour ce faire, le Grand Palais s’est associé à Gedeon Programmes, entreprise spécialisée dans les documentaires archéologiques et de patrimoine, « laquelle à partir des technologies de pointe déployées sur le site – cartographie laser, thermographie infrarouge, photogrammétrie – a réalisé des prises de vue en très haute résolution et propose des reconstitutions 3D d’une extrême précision. » Du côté d’Avignon, le confinement a empêché la traditionnelle conférence de presse en présentiel. « On s’est retrouvés chacun chez soi ! Au début personne n’était très à l’aise avec les outils types Zoom et nous avions parfois des problèmes de connexion. Nous avons même dû envoyer un routeur chez l’un des collaborateurs », narre Virginie de Crozé. Plutôt que la conférence de presse à Paris, c’est via Zoom que Olivier Py, le président du Festival, a été interrogé par deux journalistes, tandis qu’une quarantaine d’artistes envoyaient, chacun de leur côté, une courte vidéo pour raconter le festival. Publiée sur le site du festival le 18 avril, la vidéo de 45 minutes a provoqué de forts pics de connexion, absorbés grâce à la refonte du site et à son passage sur le cloud d’OVH. Mais, si le Festival d’Avignon n’a pas pu s’ouvrir le 3 juillet, les amateurs de spectacle vivant ne sont pas abandonnés puisque Rêves d’Avignon aura bien lieu, en partenariat avec 14 acteurs, dont l’audiovisuel public. Au programme, podcasts, captations et documentaires, diffusés aussi bien sur France TV ou France Culture que sur le site du festival ou encore disponibles en replay. Soit le mélange de deux mondes, celui de la diffusion traditionnelle et celui du numérique, à la fois si différents et si complémentaires.

Fluidifier les tâches administratives par le numérique

La crise sanitaire a boosté l’utilisation de bon nombre d’outils numériques. On pense à Zoom, à Teams, à Discord. Y compris dans le monde de la culture. Pour Marie-Noëlle Guiraud, directrice des Systèmes d’information de la SACD, le confinement « a mis le pied à l’étrier de nombreuses personnes qui n’utilisaient pas du tout ces outils collaboratifs ». Et si on pense aux artistes et à leurs créations, il ne faut pas négliger la partie immergée de l’iceberg culturel, le back office, le monde de l’administration, de la production, dont les petites mains se sont retrouvées elles aussi à utiliser ces mêmes outils, à opter pour des solutions SaaS, à monter des tunnels VPN pour accéder aux ressources des studios et des compagnies. Et à devoir naviguer entre les portails de tel ou tel ministère, telle ou telle administration, pour réaliser leurs démarches. Non sans difficulté parfois. « Les services numériques n’allègent pas toujours la tâche », reconnaît Marie-Noëlle Guiraud. La SACD a pour sa part œuvré ces dernières années à automatiser bon nombre de tâches. « Sur le spectacle vivant, le workflow principal qui se numérise c’est la demande d’autorisation et la déclaration pour l’auteur qui se dématérialise. Du côté de l’audiovisuel, c’est la détection de diffusion de contenus. Nous sommes sur des problématiques différentes, mais avec un même objectif : simplifier, accélérer et alléger.»

Google, un horizon indépassable ?

Pendant que vous étiez confinés, vous avez peut-être pu déambuler au Château de Versailles, visiter le Musée d’Orsay ou la grotte Chauvet et pourquoi pas le Metropolitan Museum of Art de New York et la National Gallery de Londres. Le tout en respectant la distanciation physique, car vous n’avez pas eu à quitter votre fauteuil de bureau. Ces lieux sont accessibles virtuellement grâce à la plate-forme Google Arts et Culture. Né en 2011, ce site accumule depuis les numérisations d’œuvres et les captations 3D des allées de quelque 150 musées. Sans oublier la gastronomie, la photographie, le textile… bref, tout ce qui touche de près ou de loin à la culture et à l’art. Une évasion numérique salutaire en cette période difficile, mais qui interroge. S’il existe de nombreux acteurs dédiés à la numérisation, la position de Google, par ses partenariats prestigieux avec le château de Versailles ou encore le MET, semble bien hégémonique.