Chez Atos, l’incertitude devient une seconde nature

Valse des dirigeants et des administrateurs, projets de vente et de scission repoussés ou avortés, cours en bourse qui joue au yoyo… l’ESN française est depuis bientôt deux ans dans la tourmente.

 

Est-ce une comédie ou une tragédie ? Le projet de restructuration d’Atos se poursuit, d’acte en acte, chacun nous réservant un coup de théâtre. Tout commence en juin 2022, lorsque l’ESN révèle son plan : Atos sera séparé en deux entités, d’un côté Tech Foundations, qui regroupe le cœur historique des activités de la société, soit l’infogérance, le Digital Workspace et les services professionnels, de l’autre Eviden, Evidian à l’époque ou encore SpinCo, avec les activités les plus rentables du groupe : big data, transformation numérique et cybersécurité. Soit l’essentiel de la branche BDS d‘Atos.

L’hypothèse Airbus

Alors que Thales attendait au tournant, prêt à s’emparer d’Eviden, l’ESN fait le choix d’Airbus, rejetant sèchement au passage une offre de Onepoint et du fonds d’investissements anglo-saxon ICG à 4,2 milliards. En février 2023, Atos annonce « avoir reçu une offre indicative d'Airbus pour conclure un accord stratégique et technologique de long terme et acquérir une participation minoritaire de 29,9 % dans Evidian ». Pourtant, dans les semaines qui suivent, on apprend par voie de presse que les discussions avec l’avionneur capotent. Fin mars, le couperet tombe, Airbus estimant que « l'acquisition potentielle d'une part minoritaire de 29,9 % d'Evidian ne correspond pas aux objectifs de l'entreprise ».

Si, lors du FIC un mois plus tard, Jean-Philippe Poirault, CEO de l’activité BDS chez Atos se voulait rassurant, il semble bien que le géant de l’avion ait considéré la valorisation d’Eviden surévalué, pour des résultats qui n’étaient pas à la hauteur des attentes. Pendant ce temps, l’ESN se sépare d’un certain nombre de branches, à l’instar de ses activités en Italie ou encore d’EcoAct à Schneider, tandis que la grogne monte chez les actionnaires, certains d’entre eux demandant en juin le départ du président du groupe, Bertrand Meunier, et la nomination de Léo Apotheker, ancien patron de HP et de SAP.

Daniel Křetínský à la reprise

Soudain, le 1er août, nouveau rebondissement. Dans un (long) communiqué, Atos annonce « achève[r] sa transformation avec le projet de vente de Tech Foundations […] Atos SE sera renommé Eviden SE ». Airbus a-t-il changé son fusil d’épaule ? Est-il revenu dans les bras grands ouverts d’Atos ? Que nenni : « le Conseil d'administration d'Atos a décidé d'entrer en négociations exclusives avec EP Equity Investment (" EPEI ") pour le projet de cession de 100 % de Tech Foundations, avec un impact positif net sur la trésorerie de 0,1 milliard d'euros et le transfert de 1,9 milliard d'euros d’engagements au bilan ».

EPEI est le bras armé du milliardaire tchèque Daniel Křetínský, propriétaire ou actionnaire entre autres du groupe Le Monde (jusqu’en septembre dernier), de B Smart ou encore de Fnac Darty. Ni une, ni deux, les boucliers se lèvent. D’autant que René Proglio, administrateur et président du comité des comptes d’Atos était opposé à ce projet. Mais, au moment de la réunion du conseil d’administration le 31 juillet, il était en déplacement, révèle BFM Business.

Départs et arrivées en cascade

 Les fonds Alix AM et CIAM, des actionnaires d’Atos, portent plainte devant le PNF, le premier pour « corruption active et passive », le second pour « diffusion d’informations fausses ou trompeuses ». Le monde politique et numérique est lui aussi en émoi, nombreux étant ceux s’inquiétant du projet de cession et des habilitations secret défense qui tomberaient dans les mains du milliardaire. Atos se rebiffe, reproche à ses actionnaires leurs sorties dans les médias.

Et la valse commence. Fin septembre, Jean-Philippe Poirault, CEO de BDS, est remercié par Bertrand Meunier. Philippe Oliva, co-CEO en charge des activités devant constituer Eviden, le remplace au pied levé. Avant d’annoncer son départ d’Atos le 4 octobre. Yves Bernaert, ex-patron d’Accenture Technology Europe, lui succède en tant que directeur général d’Atos. Caroline Ruellan, administratrice indépendante depuis juillet 2022, démissionne elle aussi.

Une nouvelle gouvernance et un report

Enfin, ce lundi, le groupe annonce la démission de son président, Bertrand Meunier. Un départ demandé par certains des petits actionnaires du groupe. On apprend par la même occasion que René Proglio serait lui aussi sur le départ. Le conseil d'administration nomme alors « avec effet immédiat » Jean Pierre Mustier, ancien de la Société Générale, en tant que Président non-exécutif et de Laurent Collet-Billon, ex-DGA en tant que Vice-Président non-exécutif. Tous deux étaient administrateurs depuis mai dernier.

Ces changements de gouvernance donnent quelques couleurs à Atos en bourse. Mais, quand bien même Jean Pierre Mustier annonçait sa volonté de poursuivre la restructuration de l’ESN, décision a été prise de reporter la scission d’Atos et la vente à EPEI à, au moins, le deuxième trimestre 2024. Ni une ni deux, face aux incertitudes quant à l’opération et à son calendrier, l’action est repartie à la baisse. Et le feuilleton de continuer, au moins jusqu’au deuxième trimestre 2024.