La taxe GAFAM française sur les rails

Hier en Conseil des Ministres Bercy a présenté son projet de loi créant une taxe sur les services numériques, vulgarisée en taxe GAFAM. Une taxe « temporaire » puisqu’elle ne devrait pas survivre à la future directive de la Commission européenne, dont elle s’inspire toutefois même si elle n'est qu'à l'état de projet.

Le dada de Bruno Le Maire est sur le point de devenir réalité : il a présenté hier en Conseil des ministres son projet de loi « portant création d’une taxe sur les services numériques », appelée par raccourci taxe GAFAM. Il s’agit donc d’une « taxe sur les recettes tirées de certains services fournis par les entreprises du secteur numérique ». Par services, Bercy entend les prestations de ciblage publicitaire, incluant donc la vente de données, et les services dits « d’intermédiation numériques », par exemple les places de marché en ligne.

Les revenus tirés de ces services seront imposés à un taux fixe de 3%. Connaissant la cible de cette taxe et la capacité de ces intervenants à fuir le fisc comme la peste par diverses manœuvres, le ministère a prévu une « règle de rattachement spécifique au territoire national ». Ce sont les revenus mondiaux qui seront taxés, « à proportion de la part des internautes français au sein de l’ensemble des utilisateurs de ce service ». Mais comment définir la part d’internautes français pour, par exemple, la publicité en ligne ? Là encore, Bercy a la solution.

3%

Pour les services d’intermédiation, ils sont considérés comme fournis en France si l’un des utilisateurs effectuant l’opération est localisé en France ou si le compte de l’utilisateur lui permettant d’accéder au service a été ouvert en France. Le ciblage publicitaire est fourni en France si « l’interface numérique affichant la publicité ciblée est consultée depuis la France ». Enfin, la vente de données à des fins publicitaires entre dans cette part si les données ont été générées par un utilisateur depuis le sol national. « Cette proportion sera évaluée, pour chaque service, sur une base annuelle, de manière indépendante des revenus tirés du service » apprend-on du projet de loi.

Cette taxe ne touchera cependant pas toutes les entreprises fournissant ce type de services. Bercy parle des « grands groupes ayant une forte empreinte numérique au niveau mondial et au niveau national ». Soit les sociétés enregistrant au moins 750 millions d’euros par an de ces services numériques taxables au niveau mondial et 25 millions d’euros au niveau français. Pour autant, le Conseil d’Etat n’y voit pas de rupture du principe de l’égalité devant les charges publiques, estimant que les critères retenus par le gouvernement (« chiffre d’affaires élevé » par exemple) sont « objectifs et rationnels ».

Toutefois, l’institution du Palais-Royal appelle à la prudence sur certains points, et notamment sur le projet de directive européenne. La France souhaite mettre en œuvre cette taxe « sans attendre l’issue de la négociation de la directive et son entrée en vigueur, qui pourrait intervenir en 2021 ». Ce qui est susceptible de poser quelques soucis « du point de vue de la stabilité de la norme fiscale ». Néanmoins, rien ne l’interdit dans le droit de l’Union européenne, tant que la directive n’en est qu’à l’état de projet.

En attendant l’Europe

Par ailleurs, le projet de loi s’inspire de la proposition européenne (le taux de 3% est ainsi celui prévu par la directive) et répond « à un impératif immédiat d’équité fiscale ». « La taxe ici introduite n’a donc vocation à s’appliquer que de manière temporaire et sera abrogée lorsque les nouveaux principes internationaux seront adoptés » précise l’étude d’impact. Le rendement de cette taxe sur les services, recouvrée en même temps que la TVA, devrait atteindre 500 millions d’euros par an.

Notons néanmoins ce qui peut apparaître comme une incohérence. L’étude d’impact du gouvernement estime peu probable que les entreprises taxées répercutent la taxe sur leurs utilisateurs en ce qu’elles ne souhaitent pas « dégrader leur compétitivité par rapport à leurs concurrents ». Or ces entreprises étant pour la plupart décrites comme « hégémoniques », il n’est pas certain que cette perspective les effraie réellement. On voit en effet mal un Google soudainement pris de peur panique à l’idée qu’une répercussion de cette taxe sur les prix proposés aux annonceurs les fasse fuir de sa plateforme.