Team Jorge : la désinformation en mode as a Service

Une enquête du consortium de journalistes Forbidden Stories a révélé les agissements d’une société israélienne pour le moins opaque, entre fake news, opérations d’influence et piratage, le tout fourni clés en main.

Vous pensiez que les experts de la désinformation étaient les Russes et les sociétés d’intelligence économique françaises ? Il faut également compter sur de fumeuses sociétés israéliennes. L’une d’elles fait les gros titres à la suite d’une enquête du collectif Forbidden Stories… quand bien même elle n’a pas de nom. Les journalistes l’ont baptisé Team Jorge, du nom ou pseudo de leur interlocuteur, qui semble dirigé cette jeune entreprise dynamique.

Sise dans la zone d'activités de Modiin, à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Tel Aviv, cette société fantôme est passée maître dans l’art du renseignement et de l’influence. Devant les journalistes de France Info, de The Marker et d’Haaretz, qu’il pense être des clients, ledit Jorge ne cache pas les activités de sa société. Il fanfaronne d’ailleurs, expliquant que sur « 33 campagnes présidentielles » ayant fait l’objet d’opérations d’influence « 27 ont été couronnées de succès ».

Fake news et piratage

Si cette Team Jorge s’appuie sur un réseau de journalistes, complices volontaires ou non, et d’intermédiaires, elle a également à sa disposition des moyens technologiques des plus efficaces. Aux journalistes, le patron dresse le catalogue de ses services : « catalogue de bots, propagation de fausses informations, hacking d’adversaires ».

A commencer par AIMS, un outil apparemment maison, pour Advanced Impact Media Solutions. Véritable plateforme de gestion d’opération de désinformation, celle-ci permet selon nos confrères de créer de faux comptes sur les réseaux sociaux en quelques secondes, et de naviguer d’un profil à un autre. La société compterait quelque 30 000 faux comptes sur Facebook, Twitter, Amazon ou encore Instagram, permettant de publier des avis et des commentaires à la chaîne, pour décrédibiliser un adversaire, provoquer une polémique, etc.

Mieux encore, AIMS permet de créer du contenu automatiquement à partir de quelques mots clés, en choisissant la langue et le ton. Un véritable ChatGPT de la désinformation, ou une ferme à trolls as a Service, c’est selon. Efficacité constatée par les journalistes, à qui un autre associé de Team Jorge assure qu’un « opérateur peut gérer 300 profils, donc en deux heures, tout le pays parlera du récit [qu’on] veut ».  Mais l’arsenal de l’entreprise israélienne ne s’arrête pas à la désinformation.

Pegasus, TA9, Cambridge Analytica…

Team Jorge fait aussi dans le piratage à des fins d’espionnage, Jorge prenant devant les journalistes, et pour les besoins de la démonstration, le contrôle des comptes de messagerie privée de « hauts responsables africains ». Là, les capacités de hacking ne sont pas nécessairement maison, le chef d’entreprise présentant dans son catalogue des outils de collecte de données et de géolocalisation commercialisées par TA9, une filiale de Rayzone. Or cette société israélienne, agréée par les autorités, assure ne pas connaître Team Jorge.

Mais ce n’est pas le seul lien qui peut être fait avec une société de la trempe de Rayzone. Car AIMS a été employé au profit de Tomás Zerón, haut-fonctionnaire mexicain poursuivi pour la disparition de 43 étudiants en 2014 et réfugié en Israël. Ce même Tomás Zerón est également impliqué dans l’achat par le Mexique d’un certain logiciel espion, Pegasus, produit par la société israélienne NSO. Team Jorge est d’ailleurs composé d’anciens du renseignement ou des forces spéciales de l’Etat hébreu, selon l’enquête de Forbidden Stories.

Qui ne s’arrête pas en si bon chemin. En effet, les journalistes introduisent cette affaire par le biais d’une autre, un des plus grands scandales des années 2010 quant à la manipulation de scrutins : Cambridge Analytica. Car Alexander Nix, dans sa correspondance, évoquait des « Israeli black ops », lesquels réalisaient du renseignement sur tel ou tel opposant. La patron de Cambridge Analytica ne mentionne pas le nom de ce sous-traitant, qu’il nomme par le pseudo de celui qui dirige les opérations : Jorge. Et c’est en remontant cette piste que les journalistes du consortium Forbidden Stories ont découvert cette discrète société et ses activités.