Le Parlement britannique publie les documents internes de Facebook

Les documents saisis à Six4Three n’apprennent rien qu’on ne sache déjà sur la stratégie de Facebook, notamment à l’égard des données des utilisateurs et de l’accès des développeurs tiers, mais fournit de plus amples détails sur ses pratiques.  

Le comité du Parlement britannique enquêtant sur Facebook, son rôle dans l’affaire Cambridge Analytica et la propagation de fake news, a mis en ligne les documents internes au réseau social. Les parlementaires ont mis la main sur ce corpus au cœur d’une procédure judiciaire outre-Atlantique en contraignant le CEO de l’entreprise Six4Three, aux prises avec Facebook devant la justice américaine, à leur livrer ces fichiers confidentiels.

Après s’être appuyé sur ces documents lors de l’audition d’un responsable du réseau social, le comité a décidé de les rendre publics. En résulte un document de 250 pages contenant notamment les échanges entre les cadres de Facebook ainsi qu’avec des entreprises tierces. Au menu, petits arrangements entre amis, valorisation financière des données des utilisateurs ou encore méthodes et techniques pour éviter que les utilisateurs et la presse ne viennent mettre leur nez dans ces histoires de données.

La valorisation de la donnée au centre

Faire payer l’accès des développeurs tiers aux données des utilisateurs, voilà une idée suggérée dans un mail par Mark Zuckerberg himself et une question centrale dans les échanges entre les cadres de l’entreprise. « L'idée de base est que tout autre revenu que vous générez pour nous vous rapporte un montant correspondant aux frais que vous nous payez pour l'utilisation de la plateforme » écrivait le CEO en 2012. « Donc, au lieu que tous nous payent directement, ils utiliseront simplement nos produits de paiement ou de publicité ».

Confirmation en 2013, dans un mémo interne soulignant que l’accès aux données est conditionné, dans certains cas, à l’achat d’espace publicitaire. « Découvrir d’autres applications telles que Refresh avec lesquelles nous ne souhaitons pas partager de données et déterminer s’ils dépensent pour NEKO [un acronyme en interne qui désigne la publicité]. Communiquer avec toutes les applications qui ne dépensent pas que leur autorisation sera révoquée. Communiquer aux autres qu’ils doivent dépenser 250 000 dollars par an en NEKO pour conserver l’accès aux données ».

Mais d’autres développeurs tiers n’ont pas à payer en publicité l’accès aux données de Facebook. La seule nécessité est d’avoir quelque chose qui intéresse Facebook et cette chose est bien évidemment la donnée. Facebook parle de « Data Reciprocity ». En 2012, un mémo fait part de la vision de la direction quant à cette réciprocité : « Cet échange de valeur exige des développeurs une des conditions suivantes : des expériences de grande qualité que les utilisateurs de FB peuvent utiliser pour raconter de belles histoires à leurs amis et à leur famille sur FB et/ou une valeur monétaire sous forme de partage des revenus ou de paiement direct. En retour, Facebook offre aux développeurs un accès à notre plateforme.».

Liste blanche, liste noire

En 2014, Facebook change et réduit les accès aux données de ses utilisateurs. Mais pas pour tout le monde. Après le changement de politique, Facebook a en 2015 mis en place une « liste blanche » d’entreprises qui pouvaient continuer d’accéder à certaines données et fonctionnalités. Ce fut le cas avec Badoo, Netflix ou encore Airbnb. Dans d’autres situations, le « whitelisting » est une technique pour éviter d’avoir à signer de gros chèques. Ainsi, lorsqu’il lance sa fonctionnalité Moments, le réseau social doit négocier avec Tinder, qui a déposé ce terme, et lui offre en échange « deux nouvelles API qui permettent effectivement à Tinder de maintenir la parité du produit dans le nouveau monde des API » dixit Konstantinos Papamiltidas, le responsable des partenariats de Facebook.

Ces accès sont aussi un moyen pour Facebook de mettre des bâtons dans les roues de ses concurrents. Ainsi, quand Twitter, à l’époque bête noire du réseau social, lance Vine en 2013, le service de vidéo permettait de trouver ses amis Facebook et de partager du contenu avec eux. « À moins que quelqu'un ne soulève des objections, nous allons fermer l'accès à l'API Amis dès aujourd'hui » annonce Justin Osofsky, vice-président du réseau social, avant de recevoir le feu vert du grand patron en personne.

Il ne peut plus rien nous arriver d’affreux maintenant

Fait cocasse, Mark Zuckerberg ne pensait pas que l’échange de données provenant de Facebook entre développeurs tiers puisse causer le moindre dommage à la plateforme. « Je suis généralement sceptique quant au risque stratégique de fuite de données que tu suggères » explique-t-il à Mark Lessin, vice-président Produits du réseau social. « Je ne vois pas de cas où des données ont été diffusées de développeur à développeur et ont causé un réel problème pour nous ». Nous étions alors en 2013. Quelques années plus tard, Cambridge Analytica lui prouvera qu’il avait tort.

Enfin, les parlementaires britanniques ont relevé une petite pépite quant à l’accès par Facebook aux données des terminaux Android. Alors que la plateforme passait à la V3, un cadre s’inquiétait que la demande d’accès aux journaux d’appels téléphoniques ne déclenche l’ouverture de fenêtres de demande de permissions par le biais desquels les utilisateurs auraient pris conscience que le réseau social pompait allègrement leurs données. « C’est une chose très risquée à faire du point de vue des relations publiques » écrivait-il. Heureusement, répond un autre,  les équipes techniques ont trouvé la solution qui « permettrait de mettre à niveau les utilisateurs sans les soumettre à une boîte de dialogue d’autorisations Android ».