5G : une réflexion globale s’impose

Conso électrique des amplificateurs, inadaptation de l’hertzien en milieu industriel, nouvelle course en avant alors que les bandes de fréquence constituent une ressource non extensible à l’infini… La génération 5G soulève des réserves, même sous l’angle purement technique !

En milieu urbain, la 5G est censée apporter un ensemble d’améliorations au protocole 4G actuel. Pour l’abonné, on peut citer un débit plus important et des temps de latence diminués.

Commençons par examiner le débit. La question est complexe, car les performances dépendent de la bande de fréquences utilisée. Le gain majeur sera obtenu sur les bandes «millimétriques», autour des 26 GHz. Le recours à ces fréquences permet un encombrement spectral bien plus important que celui autorisé par les fréquences inférieures, ce qui se traduit par une bande passante plus grande, et donc des transmissions plus rapides. En outre, les antennes seront quasi-invisibles et très directives, de sorte qu’elles concentreront l’énergie des émetteurs – ou la sensibilité des récepteurs – dans de petits secteurs géographiques, ce qui améliorera les performances du lien radio.

Malheureusement, l’utilisation du 26 GHz ne va pas sans inconvénients. Le premier d’entre eux est la portée : l’atténuation est forte, d’où la nécessité de disposer d’un maillage d’émetteurs hyper-dense. Mais les maillages denses donnent lieu à des phénomènes d’interférences qui entraînent des variations rapides, et parfois importantes, de la qualité du signal. Ces interférences seront renforcées par les objets environnants : pour les ondes millimétriques, n’importe quelle pièce métallique de plus de cinq centimètres agit comme un miroir, ou comme un masque.

La réalité du champ en ville risque d’être extrêmement complexe, et certainement non modélisable par les logiciels de simulation électromagnétique, et a fortiori par les logiques embarquées.

Sur la bande des 3,6 GHz, les modulations utilisées sont plus performantes et la bande allouée plus large, on peut donc s’attendre à un gain de vitesse par rapport à la 4G. Mais tout cela reste à démontrer en utilisation quotidienne : il n’y a qu’à mesurer les débits réels que l’on observe sur une borne WiFi 5 GHz, dont la fréquence et les modulations ne sont pas très éloignées de celle de la 5G, pour s’apercevoir qu’il y a souvent un écart significatif entre le débit maximal théorique et le débit effectif (1) . Même à quelques mètres, avec un rapport signal/bruit de l’ordre de 30 dB, il est difficile d’atteindre les valeurs plafond.

Certes, on pourra objecter que les conditions ne sont pas les mêmes, cette expérience simple prouve en tout cas que le calcul exact du débit disponible à chaque endroit est impossible à mener.

La 5G multipliera les émetteurs pour assurer une meilleure disponibilité et qualité de transmission. S’il est vrai que la norme prévoit d’«éteindre» certains signaux inutiles, a contrario de la 4G, ce n’est pas lié à une quelconque préoccupation «environnementale», mais simplement au souci de minimiser les interférences, et donc maximiser le débit.

Vers l’explosion de la conso électrique ?

Hélas, les amplificateurs qui équiperont chaque émetteur sont extrêmement voraces. En cause, d’une part la modulation, qui exige l’emploi de dispositifs (quasi-)linéaires, et la fréquence élevée, qui plafonne les rendements. Par exemple, l’un des amplificateurs bande Ka – proche de celle allouée à la 5G – les plus récents consomme 80 watts pour n’en émettre que dix, soit un rendement de 12,5%. Il n’est pas certain que ce module représente l’état de l’art sur le 26 GHz, mais il ne doit pas en différer énormément. Avec la multiplication des émetteurs, la consommation électrique risque de diverger – et que d’énergie perdue !

Si nous descendons maintenant de l’émetteur vers le réseau, il va bien falloir relayer et router les communications. Le déploiement de la 5G ne va donc pas pouvoir se faire sans une intense phase de câblage de fibre optique, suivie de l’installation de routeurs. Si l’on veut pouvoir faire dialoguer des dispositifs de type IoT en minimisant la latence, ces routeurs devront être disposés le plus près possible des relais, de sorte à optimiser le trajet des paquets. Avec l’itinérance, les tables de routage devront dialoguer en permanence. Tout cela va requérir de la puissance électrique supplémentaire.

Enfin, si la 5G ouvre les vannes, reste à remplir les tuyaux. On peut promettre à l’utilisateur des gigabits par seconde, si les serveurs auxquels il se connecte en même temps que dix mille autres personnes ne «crachent» que cent mégabits par seconde, tout ira au pas. Pour que les utilisateurs ne soient pas déçus par des performances bien en-deçà des promesses, les équipementiers vont devoir multiplier les data centres et ajouter des caches de contenu au plus près des points de peering. Au prix de mégawatts supplémentaires.

Une course en avant

On peut se demander pourquoi installer des dizaines de milliers d’équipements coûteux, disgracieux et « énergivores» pour, il semble, juste améliorer le fonctionnement des jeux vidéo en ligne depuis les smartphones! La 5G serait indispensable aux IoT, mais on attend toujours le déploiement massif de ces derniers. Aura-t-il lieu ? Mystère. Où en est-on d’IPv6 ? Pourrat-on se permettre de tout connecter, au risque de s’exposer à des failles massives, et peut-être catastrophiques, de sécurité ? La voiture autonome verrat-elle vraiment le jour au XXIe  siècle ? On peut également s’interroger sur l’utilisation de la 5G en milieu industriel. Comment faire fonctionner un dispositif radio dans un milieu aussi bruité électromagnétiquement qu’une chaîne de montage ou de soudage ? Si l’Ethernet filaire continue à dominer dans les usines, n’est-ce pas simplement parce qu’un câble se blinde et qu’une fibre optique est immunisée aux perturbations CEM ?

Certes, les statistiques montrent que les réseaux 4G arrivent à saturation. Mais plutôt que de déployer une mise à jour technologique à coups de millions d’euros, ne pourrait-on pas plutôt réfléchir aux moyens de modérer la consommation de bande passante ?

Les algorithmes de compression vidéo sont de plus en plus efficaces : le tout récent H.266 double la performance du H.265 à qualité identique. Pourquoi ne pas en imposer l’utilisation, et ce d’autant que les smartphones modernes disposent de CPU aisément capables de l’implémenter ?

Naturellement, ceci n’arrangerait personne : ni l’État, qui loue les fréquences à prix d’or; ni les équipementiers, qui doivent trouver des relais de croissance ; ni les opérateurs, pour qui la 5G est l’occasion de renouer avec des marges substantielles; ni les fabricants de smartphones, enfin, qui comptent sur la 5G pour relancer leurs ventes dans un marché saturé.

Sans une réflexion globale sur l’utilisation de l’Internet mobile, impliquant fournisseurs de contenus, FAI et opérateurs, nous risquons de faire face au même phénomène cyclique qu’en aménagement routier : si l’ouverture de nouvelles autoroutes permet de décongestionner certains axes, elle stimule également l’utilisation de la voiture, et les bouchons réapparaissent au bout de quelques mois.

L’espace hertzien, tout comme l’espace géographique, n’est pas extensible à l’infini. L’impact environnemental de l’électronique ne cesse de croître. Il serait grand temps d’envisager d’autres voies pour résoudre les problèmes de saturation qu’une simple fuite technologique en avant.


(1) L’accès à la valeur maximale instantanée du débit est souvent délicat à obtenir. Sur Mac OS, il suffit de «Alt (Option, ) cliquer» sur le symbole WiFi de la barre de menu pour avoir accès à des informations sur la connexion, y compris la valeur du débit maximal instantané.