2021, une année sous le signe de l’austérité pour les DSI

En 2021 comme au second semestre 2020, les DSI français vont devoir tailler dans leurs budgets pour aider leurs entreprises à faire face à la crise économique engendrée par la pandémie. Un exercice compliqué en pleine transformation digitale.

Comme à chaque début d’année, tous les grands cabinets d’études ont publié leurs prévisions pour 2021. Outre la progression des techniques d’IA, du Cloud, notamment en Europe, ces prévisions ont très largement intégré l’impact du Covid-19, avec une priorité donnée à la cybersécurité et la protection des accès distants. Or un paramètre risque bien de briser de nombreux projets, c’est la chute des budget IT alloués pour 2021. Déjà en 2020 les DSI avaient été priés de geler le maximum de projets afin de préserver les liquidités de leurs entreprises ; l’impact a été immédiat auprès des ESN. Sopra Steria a affiché une chute de chiffre d’affaires de 4,9% au troisième trimestre, IBM de – 2,6% au niveau mondial, sauvé par son activité cloud et, avec une croissance de 8% en 2020, Capgemini est parvenu à sauver les meubles grâce à l’acquisition d’Altran mais la croissance organique de l’ESN était de l’ordre de – 3,4 %. Selon le Syntec et KPMG, les ESN françaises devraient voir leur CA baisser de 6% en 2020 et la persistance de la pandémie ne laisse augurer rien de bon pour le 1er semestre 2021.

En France, l’année 2021 s’annonce tout aussi spartiate. Une étude réalisée lors du troisième trimestre 2020 par le CMIT (Club des Marketeurs in Tech) et le Club de DSI et CIO XV DSI montre que 69% des DSI ont dû changer leurs priorités d’investissement à cause de la crise sanitaire. Les réductions budgétaires attendues évoquées par les DSI étaient de l’ordre de 5 à 10% du budget pour le tiers d’entre eux, de 10 à 20% pour 42% des DSI et de 20 à 30% pour 8% d’infortunés responsables informatiques ! Pas moins de 50 % des DSI envisageaient une baisse des investissements sur 2020, 31% un report sur 2021. Qu’en sera-t-il véritablement, nul ne le sait tant il est difficile de prévoir la fin de la pandémie.

Le Cloud public, solution la plus évidente ?

Basculer le maximum de ressources IT vers le Cloud public semble être la solution toute trouvée pour faire une croix sur les investissements visant à renouveler les parcs de serveurs ou les infrastructures de stockage. Si l’avantage financier à long terme peut être discuté, sur le court terme la solution permet de faire passer du CapEx en OpEx très rapidement. En revanche, même si le rapprochement de VMware avec les fournisseurs de Cloud publics peut grandement simplifier ces migrations, mener un projet de type Move2Cloud dans l’urgence est quelque peu hasardeux : « Les projets Move2Cloud doivent être bien étudiés en amont », souligne Sébastien Drouin, président du club XVDSI. « Si les coûts de fonctionnement – Run – sont nettement inférieurs, on oublie bien souvent dans le calcul de ce type de projet les coûts liés à la formation, au réseau, sur la mise en place FinOps afin de faire un suivi de la facturation. Et surtout le coût de la migration elle-même.»

Le Cloud n’est donc pas nécessairement la solution miracle qui va permettre au DSI de réaliser des économies mirobolantes en quelques mois. Sébastien Drouin ajoute que le Cloud permet au DSI « d’avoir un composant supplémentaire dans sa boîte à outils. Ainsi pour chaque projet ou besoin métier, la DSI doit se positionner en tant que partenaire des directions métier et être force de proposition. Le Cloud est un composant supplémentaire qui lui permet de répondre aux attentes d’agilité, de sécurité, de scalabilité et financière attendus par son client le métier.»

S’il n’est pas toujours facile de franchir le pas et de basculer des infrastructures legacy vers le Cloud, il existe des alternatives pour revoir le modèle de financement des infrastructures on-premise et opter pour des modes de financement bien connus tels que le crédit-bail, la location évolutive, ou encore les offres Evergreen de plus en plus poussées par les fournisseurs d’équipements IT, avec des baies de stockage, des serveurs facturés à la consommation et maintenus à jour par leur constructeur. HPE, Pure Storage ou encore Dell poussent en faveur de ce type d’offres, notamment sur leurs équipements hyperconvergés, mais avec un succès très relatif... Pour Sébastien Drouin, la DSI doit se doter d’un Ressources Manager qui va jouer le rôle d’acheteur IT de toutes les ressources, depuis les prestations intellectuelles, les licences logicielles, le hardware, jusqu'aux contrats de maintenance, etc.

Le Cloud est un bon moyen de faire passer des investissements Capex en Opex, mais la souplesse d’une tarification à l’usage en fait aussi un excellent outil d’optimisation financière.

Les plates-formes Saas dédiées aux FinOps comme Apptio sont très efficaces pour optimiser les dépenses sur les services cloud, mais se rémunèrent assez largement sur les économies réalisées, raison pour laquelle beaucoup d’entreprises préfèrent encore développer leurs propres outils.

Les bonnes pratiques FinOps à appliquer

Les FinOps mettent ainsi en œuvre de nombreuses recettes pour faire baisser le coût d’une infrastructure cloud et des applications, en fonction du contexte de chaque entreprise. « Les solutions les plus classiques consistent à exploiter les possibilités de réservation de ressources des Cloud providers, effectuer un “right sizing” des ressources, une bonne exploitation des services de stockage, la rationalisation du recours au support », explique Nabil Ben Nasrallah, membre de la FinOps Foundation. « On peut agir sur ces leviers afin de réduire les coûts et l’économie peut atteindre de 60 à 70% de la facture.» Avant de pouvoir s’engager dans cette démarche, le FinOps doit bien analyser le contexte de l’entreprise, identifier tous les usages des services cloud de chaque département de l’entreprise, bien tagguer toutes les ressources et ramener l’ensemble des coûts au niveau de chaque applicatif pour évaluer son coût réel, de même que l’ensemble des frais liés aux infogérants et obtenir ce que l’on appelle le Fully Loaded Cost per Single Application. « Après cette phase initiale “Inform”, on peut mettre en place les processus en phase “Optimize” et l’automatiser dans la phase “Operate”. En outre, il faut aussi mettre en place un monitoring d’usage, de sécurité et de performance des applications, c’est une bonne pratique qui peut par exemple détecter l’envol du coût réseau d’une application parce qu’on a modifié son paramétrage de sécurité et les échanges de logs génèrent le transfert de Gigaoctets de données supplémentaires chaque jour, ce que l’on nomme le “log verbosity”.»

Les FinOps agissent essentiellement sur la facture cloud, mais certaines de leurs recettes peuvent être appliquées dans une certaine mesure sur des infrastructures hybrides. Le business model des infrastructures on-premise n’est bien évidemment pas le même et le délai pour obtenir les premiers gains financiers beaucoup plus longs, mais la démarche peut être payante à moyen terme. « Sur le Cloud, nous pouvons agir rapidement pour faire baisser la facture, tandis que sur des infrastructures on-premise, l’impact va prendre beaucoup plus de temps à se matérialiser sur la facture, car on agit sur le Capex et non plus l’Opex. Le FinOps va notamment pouvoir indiquer quelle application ou plutôt quel bouquet d’applications on va migrer vers le Cloud public pour bénéficier du plus fort ROI.»

Vers une renégociation globale de tous les contrats de la DSI

À situation exceptionnelle, pratique exceptionnelle. Stéphane Hascoët, ancien CTO de Jouve, est le CEO de Jiliti, la nouvelle entité qui regroupe les mainteneurs Econocom Business Continuity (EBC), Europe Computer Systèmes (ECS), Osiatis et Thomainfo. Il estime que les DSI doivent passer en revue l’ensemble des contrats de leur direction, car il y voit un levier d’économies très important. « Dans une démarche de rationalisation des contrats, les DSI doivent entrer dans un mode Deeming – ou cycle PDCA pour Plan Do Check Act –, c’est-à-dire réaliser une revue complète de tous leurs contrats et engager une renégociation avec les éditeurs. La mise en place d’un mécanisme de refacturation comme l’impose aujourd’hui les FinOps permet, selon ma propre expérience, une diminution significative des coûts opérationnels (OPEX), de l’ordre de 15% environ.»

Une autre approche est de consolider tous les contrats auprès d’un acteur unique qui va assurer le rôle de guichet unique pour traiter toutes les demandes liées à la maintenance des infrastructures IT, mais aussi apporter des gains financiers significatifs à la DSI. C’est la position défendue par Stéphane Hascoët qui considère qu’à l’occasion de cette crise, les DSI doivent aller plus loin encore dans cette rationalisation de leurs contrats et miser sur la massification pour réduire de manière très significative leurs dépenses de maintenance. « La massification est une prestation qui a connu ces derniers mois une brusque accélération. Les budgets 2021 sont tous en baisse voire en forte baisse et cette massification permet aux DSI d’atteindre 10%, 20% d’économies sur ces contrats, parfois jusqu’à 30% dans certains cas plus exceptionnels, sur des montants financiers qui peuvent atteindre parfois plusieurs millions d’euros par an. Cette massification apporte aux DSI une réponse à la problématique prégnante pour 2021 : comment boucler leur budget.»

Pris en étau entre des métiers qui doivent mener leur transformation digitale au plus vite pour rester compétitifs et des budgets d’investissement et de run ultra-contraints, les DSI vont connaître une année 2021 sous haute tension !


Sébastien Drouin
président du Club XVDSI

« Sur le très court terme, les DSI ne peuvent recourir qu’à deux stratégies : soit un report des investissements sur les nouveaux projets, un scénario évoqué par 31% d’entre eux, soit la diminution des investissements, la piste suivie par 51%des DSI. Cela prendra la forme du non-renouvellement du parc informatique, ou par la mise en place de nouvelles solutions d’infrastructures moins coûteuses, par exemple porter la sauvegarde dans le Cloud public.»


Stéphane Hascoët
CEO de Jiliti

« Depuis mars 2020, les entreprises ont globalement ralenti leurs investissements et notamment revu tous les projets de renouvellement de leurs matériels. Elles prennent le risque de se retrouver à partir de la mi-2021 avec des matériels dont la durée de vie est dépassée depuis parfois 18 mois et pour lesquels elles devront rapidement trouver une solution de remplacement. Les acteurs du secteur vont devoir innover et accompagner les entreprises avec des solutions adaptées du point de vue économique, fournir des infrastructures clé en main, avec notamment des offres d’infrastructures financées pour faire passer un renouvellement en OpEx et non plus en investissement, avec des forfaits d’utilisation mensuelle de leurs nouvelles infrastructures.»


Nabil Ben Nasrallah
membre de la FinOps Foundation

« Il ne faut pas hésiter à négocier avec les Cloud providers pour bénéficier de discounts supplémentaires sur les prix catalogue. C’est notamment très vrai pour les grandes entreprises qui consomment beaucoup de ressources et qui peuvent obtenir parfois de 30 à 40% de remise auprès des grands fournisseurs de services cloud. Les FinOps peuvent intervenir lors de ces négociations avec le DSI et la direction financière, notamment pour que la négociation porte sur les services dont l’impact sera le plus fort sur la facture.»


Les 10 règles du Gartner pour réduire les coûts IT

1. Visez un impact immédiat : il faut éliminer, réduire ou suspendre les postes de coût dont l’impact se fera sentir en quelques semaines, quelques mois et non des années.

2. Réduisez, ne gelez pas : il faut se concentrer sur les postes de coût qui peuvent être réduits ou éliminés. Les coûts gelés sur une période réapparaissent plus tard.

3. Le Cash est roi : il faut mener des actions qui ont un impact direct en termes de profits et pertes, de préférence à des dépréciations d’actifs ou jouer sur les amortissements.

4. Ne le faites qu’une fois : beaucoup ne taillent pas suffisamment dans les coûts dès la première fois et doivent lancer des plans successifs : c’est destructif et improductif.

5. Analysez soigneusement les comptes : il faut se faire aider d’experts financiers afin d’identifier les postes sur lesquels les économies auront l’impact le plus fort.

6. Repérez les dépenses non encore engagées : il faut annuler les achats non encore finaliser, récupérer les avances et évaluer les contrats déjà finalisés en vue d’une renégociation ou d’une annulation.

7. Préservez le capital : il est plus facile d’influer sur l’OpEx que le CapEx mais il faut réduire les dépenses d’investissement qui représentent de l’ordre de 25% du budget IT.

8. Les coûts irrécupérables ne sont pas pertinents mais il faut toujours se demander si les économies réalisées seront supérieures aux avantages que l’on peut obtenir et que l’on obtiendra en continuant à dépenser.

9. Intéressez-vous aux coûts ponctuels et aux coûts récurrents : il est facile de tailler dans les coûts ponctuels, notamment les nouveaux projets, mais il faut aussi s’intéresser aux coûts récurrents liés au «Run».

10. Attaquez-vous tant aux coûts fixes qu’aux coûts variables : il faut chercher à éliminer en priorité les coûts fixes et réduire voire éliminer les coûts variables.