Le LiFi passe à la vitesse supérieure

L’atout sécurité du LiFi ? Les ondes lumineuses ne traversent pas les murs à l’inverse des ondes radio.
Le LiFi permet de transmettre des données sur le spectre lumineux, en exploitant le scintillement des lampes LED, selon un principe proche du morse. Jusqu’alors cantonné à des marchés de niche, ce système passe à l’offensive à la conquête du grand public et des entreprises. Tour d’horizon de ses possibilités et de son positionnement par rapport aux autres technos sans fil. En développement depuis plus d’une dizaine d’années, le LiFi passe aujourd’hui à une phase de concrétisation sans précédent. Cette technologie de communication sans fils par ondes lumineuses a tout d’abord créé la surprise au dernier CES de Las Vegas avec la présentation de premiers produits grand public : une lampe de bureau et une serrure connectée (lire encadré ci-contre). Début février, Paris accueillait la première édition du Global Li-Fi Congress, salon international dédié au LiFi. Et dans la foulée de l’événement, la RATP annonçait le plus gros déploiement mondial de cette technologie, avec plus de 100 000 points lumineux LiFi prochainement installés dans le métro parisien (lire ci-après). Pourquoi cette technologie de « Light Fidelity » fait-elle aujourd’hui autant parler d’elle ? Rappelons son principe : elle assure la transmission de données via les ondes lumineuses grâce au scintillement de lampes LED. Plus précisément, la diode électroluminescente va scintiller plusieurs millions de fois par seconde. Le principe du LiFi est d’exploiter ce scintillement, invisible à l’œil nu, pour transmettre des données. La LED allumée transmet un bit 1 et la LED éteinte transmet un bit 0. Il s’agit donc d’une modulation d’un signal électromagnétique, comme pour les communications radio. Mais le LiFi exploite le spectre optique, qui est 10 000 fois plus large que celui des ondes radio. Résultat : les équipements LiFi ont besoin de beaucoup moins de puissance de signal pour transmettre les données. Par ailleurs, les débits peuvent être théoriquement très élevés en exploitant une large portion de ce spectre. En 2015, des scientifiques de l’université d’Oxford, au Royaume-Uni, ont ainsi atteint une connexion lumineuse de 224 gigabits par seconde, un record mondial. Aujourd’hui, les équipements LiFi du marché offrent plutôt des débits entre 10 et 40 Mbits/s, avec 100 Mbits/s attendu en fin d’année 2018. Outre le débit, la sécurité est l’autre grand atout du LiFi. En effet, les ondes lumineuses ne traversent pas les murs, contrairement aux ondes radio. « Vous ne pouvez donc pas pirater un réseau LiFi en étant dans la pièce d’à côté, car il n’y est tout simplement pas présent », explique Benjamin Azoulay, directeur général d’Oledcomm. Et les données peuvent être chiffrées avec les protocoles comme le WPA 2 Personnel ou le WPA Entreprise. « Pour un DSI, cela signifie que le point d’accès LiFi peut être géré comme n’importe quel autre point d’accès sans fil », précise pour sa part Édouard Lebrun, directeur général délégué de Lucibel. La portée du LiFi est en revanche assez réduite, puisqu’elle reste de l’ordre de quelques mètres. « Au-delà de deux à trois mètres il y a une forte déperdition », précise Christian Dutordoir, PDG de la société Step. Cela n’est pas réellement un problème, assurent les promoteurs du LiFi, car le principe reste que l’utilisateur doit être placé en dessous de la lampe pour recevoir les données. Et ces lampes sont en général installées à quelques mètres en hauteur, sur le plafond en intérieur ou sur un luminaire en extérieur, donc toujours avec une courte portée. Enfin, la transmission de données fonctionne en plein jour comme de nuit. La lumière LiFi est en effet la seule à être modulée, contrairement à celle du soleil ou de toute autre lumière artificielle. Le récepteur peut donc facilement la distinguer. Le LiFi, à l’origine simple voie descendante, pourrait être complété par l’infrarouge pour assurer la voie montante.

Une voie montante par infrarouge

Le LiFi était initialement unidirectionnel, avec une simple voie descendante. Mais les fournisseurs de solutions exploitent désormais l’infrarouge pour assurer la voie montante. Concrètement, l’utilisateur reçoit les données sur son ordinateur, sa tablette ou son smartphone via un petit récepteur USB, ou « dongle », à brancher sur son équipement. Pour la voie montante, il était bien entendu assez peu pratique d’utiliser une diode LED. Cela reviendrait à brancher une torche sur son ordinateur. D’où l’idée d’utiliser de la lumière non visible du rayonnement infrarouge, pour envoyer les données. « Cela permet aussi d’éviter la collision de données », poursuit Édouard Lebrun.

Deux variantes : géolocalisation et accès internet

Quels sont les usages actuels de cette technologie ? Ils se répartissent en deux catégories : la géolocalisation et l’accès internet. Dans le premier cas, l’idée est de localiser un équipement, par exemple le smartphone d’un utilisateur, lorsqu’il arrive dans le champ lumineux d’une lampe LiFi. Cette dernière envoie simplement un identifiant unique correspondant à son positionnement. Le smartphone reçoit cet identifiant via sa caméra. C’est ce principe de géolocalisation qui a séduit la RATP. La régie parisienne a confié aux sociétés Oledcomm et Step l’installation, durant les cinq prochaines années, d’environ 100 000 tubes LiFi dans le métro parisien. Des applications mobiles, exploitant la géolocalisation LiFi, devront permettre aux personnes malvoyantes ou aux touristes d’être guidés dans les couloirs du métro. « Par rapport à des solutions de gélocalisation in-door, exploitant par exemple le Bluetooth, l’avantage du LiFi est sa précision, de l’ordre du centimètre. Les autres solutions offrent plutôt une localisation sur plusieurs mètres, ce qui est peu optimal pour guider des personnes », explique Benjamin Azoulay d’Oledcomm. Cette géolocalisation LiFi est également utilisée dans plusieurs musées, notamment celui de la Carte à jouer à Issy-les-Moulineaux, pour proposer des contenus localisés auprès de visiteurs. Deux hypermarchés Leclerc d’Île-de-France exploitent aussi cette technologie pour suivre les déplacements des consommateurs, via des caddies connectés en LiFi. Depuis 2016 à Palaiseau (91), le LiFi est intégré dans les luminaires publics, pour diffuser de l’information citoyenne.

L’accès internet où le WiFi n’est pas le bienvenu

L’autre grande catégorie d’usage est l’accès internet par le LiFi. Le principe est ici de connecter un équipement LiFi à une box internet et de disposer ainsi d’un point d’accès sans fil, par connexion lumineuse. Par rapport au WiFi, le principal atout est aujourd’hui celui de la sécurité. C’est en tout cas un argument auquel ont été sensibles plusieurs entreprises du secteur bancaire. « Nous avons des clients dans le domaine de la finance qui installent du LiFi dans leurs salles de réunion pour des questions de confidentialité », indique Édouard Lebrun, chez Lucibel. Par ailleurs, le LiFi trouve des opportunités de déploiement dans des sites où le WiFi est interdit, comme certains services d’hôpitaux (IRM, bloc opératoire…). Le LiFi est ainsi déjà exploité dans des hôpitaux à Pergignan ou à Rueil-Malmaison. Les sites publics accueillant des enfants de moins de trois ans, où le WiFi est interdit par la « loi Abeille », représentent également une opportunité de déploiement pour le LiFi. Même chose pour certaines installations industrielles (pétrochimie, mines…) où les ondes radio sont proscrites. Au niveau des collectivités territoriales, le LiFi peut être intégré dans les luminaires d’éclairage public. C’est la solution retenue par la ville de Palaiseau, depuis 2016, pour l’instant pour envoyer de l’information citoyenne. Mais la solution pourrait évoluer vers la mise en place de hotspots LiFi sur la voie publique. « Nous travaillons sur une solution bidirectionnelle », indique Agnès Jullian, présidente du fabricant de mobilier d’éclairage Technilum, qui a participé au projet de Palaiseau. « Nous avons des demandes d’informations de plus en plus importantes autour de ce système de luminaires LiFi », confie-t-elle. Enfin, lors du salon Global Li-Fi Congress, des acteurs de l’aéronautique comme Airbus ont également évoqué un possible déploiement du LiFi dans les avions en alternative des lourds câblages des systèmes de divertissement à bord, et pour proposer un accès internet aux passagers. L’industrie automobile, notamment Renault, a également évoqué une intégration de LiFi pour créer des hotspots dans les habitacles de ses véhicules ou pour faire communiquer les futures voitures connectées, via leurs phares LED.

Bientôt le handover et le multi-utilisateur

Des évolutions importantes de la technologie LiFi sont prévues dans les mois à venir. L’un de ses écueils actuels est qu’elle ne fonctionne pas en mobilité. Une connexion n’est ainsi pas maintenue d’une lampe à une autre. Mais ce principe de « handover », bien connu dans la téléphonie mobile, devrait arriver sur le marché début 2019, indiquent les principaux acteurs du secteur. Autre évolution attendue : le multi-utilisateur. Aujourd’hui, une lampe LiFi ne permet qu’à un seul équipement de se connecter pour l’accès internet. « D’ici à la fin de l’année nous devrions proposer l’accès multi-utilisateur grâce à l’intégration de la technologie OFDM (Orthogonal Frequency-division Multiplexing), avec comme objectif d’accueillir une dizaine d’utilisateurs par équipement », énonce Benjamin Azoulay. Pour le consultant Stéphane Lelux, président du cabinet Tactis, le LiFi est bien une technologie d’avenir. « L’usage en géolocalisation offre un bon potentiel, avec des applications qui pourraient intéresser l’industrie », estime-t-il. « Sur la partie accès à Internet, le LiFi est compétitif là où le WiFi est impossible ou proscrit. Tout dépendra de l’intégration de cette technologie par les constructeurs d’ordinateurs, de tablettes et de smartphones, afin de pouvoir se passer de dongle. C’est ce qui a fait décoller le WiFi », conclut-il. Pour l’heure, aucun constructeur ne s’est positionné sur cette technologie.

LES PREMIERS PRODUITS LIFI GRAND PUBLIC

À l’occasion du CES 2018, Oledcomm a dévoilé une lampe de bureau basée sur la technologie LiFi. Baptisée MyLifi, elle peut donc faire office de point d’accès internet avec un débit annoncé d’environ 23 Mbit/s. « Il s’agit d’un produit haut de gamme, qui intègre d’autres fonctions notamment autour de la luminothérapie », explique-t-on chez Oledcomm. Proposé à près de 700 euros, cet équipement ne s’adresse pas qu’au marché français, mais aussi aux pays nordiques où les lampes haut de gamme seraient assez courantes. « Une version pro, pour des salles de réunion ou des espaces de co-working, sera également prochainement proposée, avec un niveau de sécurité accru », confie Benjamin Azoulay. De son côté, la start-up Havr présentait : « bright lock », une serrure connectée à ouverture lumineuse. Concrètement, la serrure peut être déverrouillée via la diode LED du smartphone. Cette diode va envoyer un signal LiFi unique au capteur de la serrure pour lui indiquer qu’elle peut être déverrouillée. Le smartphone fait ainsi office de clé. « Face au Bluetooth ou au NFC, le LiFi offre un niveau de sécurité bien plus élevé qui correspond à ce type d’équipement », indique Alexandre Ballet, co-fondateur de Havr. Ce système devrait être commercialisé en milieu d’année à un prix d’environ 300 euros.