Droit voisin : Google ne bafoue pas la loi

Mieux encore, il ne prend pas mĂȘme la peine de la contourner : le texte inscrivant en droit français un droit voisin est ainsi Ă©crit qu’il permet au gĂ©ant de refuser de payer les Ă©diteurs, Ă  la condition qu’il ne reprenne pas leurs snippets. Ce que Google est disposĂ© Ă  faire : aucune subtilitĂ© ici.

Un « diktat inacceptable », un « coup de force [
] qui va Ă  l’encontre de notre dĂ©mocratie », un « bras d’honneur Ă  la souverainetĂ© nationale » 
 S’agit-il d’un coup d’Etat ? D’une Ă©niĂšme sanction de l’administration Trump ? D’une plainte de la GrĂšce Ă  l’encontre des accords qui lui ont Ă©tĂ© imposĂ©s par ses crĂ©anciers ? Que nenni ! Ces cris du cƓur viennent de patrons de presse, mortifiĂ©s Ă  l’idĂ©e que Google contournerait la loi.

Depuis le 24 octobre, la loi n°2019-775 crĂ©ant un droit voisin au profit des agences et des Ă©diteurs de presse s’applique. Ce texte est la transposition en droit français de la fameuse directive europĂ©enne sur les droits d’auteur, adoptĂ©e plus tĂŽt cette annĂ©e par les eurodĂ©putĂ©s. Laquelle prĂ©voit dans son non moins fameux Article 15 que les sites reprenant des extraits d’articles de presse devront rĂ©munĂ©rer les Ă©diteurs et agences qui en sont Ă  l’origine.

L’affaire Ă©tait entendue : par le biais de la lĂ©gislation, les Ă©diteurs de presse seront en mesure de rĂ©clamer espĂšces sonnantes et trĂ©buchantes Ă  Google contre le droit d’alimenter ses rĂ©sultats de recherche et son onglet Actus. Une presse en difficultĂ© qui trouve enfin une nouvelle et juteuse source de revenus. Mais tout ne s’est pas passĂ© comme les supporters de ce texte le prĂ©voyaient.

Google ne veut pas payer

En effet, Google a annoncĂ© qu’il n’entendait pas payer les Ă©diteurs. Et pour ce faire, il n’indexera plus les « snippets », ces extraits reprenant le dĂ©but du texte de l’article et souvent une image, ainsi que le titre et l’hyperlien. Non, le gĂ©ant ne reprendra plus que le titre et l’hyperlien si l’éditeur ne lui donne pas gracieusement le droit de publier plus. Horreur, peut-on lire dans les multiples tribunes et interviews qui fleurissent les pages de la presse française ces trois derniers jours, Google bafoue la loi, il la contourne.

« Soit [les Ă©diteurs] signent un blanc-seing Ă  Google en renonçant Ă  rĂ©munĂ©ration, et le modĂšle actuel Ă  base de gratuitĂ© perdure [
] Soit ils refusent, continuant d’espĂ©rer une rĂ©munĂ©ration. Et on leur promet de redoutables reprĂ©sailles : la visibilitĂ© de leurs contenus sera rĂ©duite Ă  sa plus simple expression. Plus de photo, plus de textes, un bout de titre, rien de plus, apparaĂźtra quand les internautes feront des recherches sur une information. Un suicide pour la presse » dĂ©nonce une tribune signĂ©e par 800 journalistes europĂ©ens, qui accuse Google de cynisme.

Eh oui, il est sans doute exact que la position de Google sur le sujet est cynique. Et pourtant, Mountain View ne fait en France que respecter la loi. Retour à notre fameuse loi n°2019-775 : celle-ci introduit dans le code de la propriété intellectuelle un article L218-2 qui stipule que « l'autorisation de l'éditeur de presse ou de l'agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne ».

Dura lex, sed lex

Une autorisation soumise Ă  des conditions de rĂ©munĂ©ration, fixĂ©e dans l’article L. 218-4 sur la base des « recettes de l'exploitation de toute nature, directes ou indirectes ou, Ă  dĂ©faut, Ă©valuĂ©e forfaitairement ». Ainsi, si Google ou toute autre plateforme en ligne souhaite reprendre les snippets sur ses pages, il lui faut obtenir l’autorisation de l’éditeur de presse (ou de l’ayant droit), reprise qu’il doit rĂ©munĂ©rer. Toutefois, l’article L. 211-3-1 prĂ©voit pour sa part que « les bĂ©nĂ©ficiaires des droits ouverts Ă  l'article L. 218-2 ne peuvent interdire 1° Les actes d'hyperlien ; 2° L'utilisation de mots isolĂ©s ou de trĂšs courts extraits d'une publication de presse ».

Pas de vide juridique, de flou sujet Ă  interprĂ©tation. Pas la moindre subtilitĂ©. En choisissant de n’utiliser que les titres et les liens hypertextes des articles des acteurs qui persisteraient Ă  exiger une rĂ©munĂ©ration, Google ne fait donc que respecter la loi telle qu’elle est Ă©crite. Ce qui n’empĂȘche pas l’Alliance de la presse d’information gĂ©nĂ©rale de saisir l’AutoritĂ© de la Concurrence. L’AFP elle aussi prĂ©pare une plainte.

Plus que sur le respect de la loi, le juge sera certainement amenĂ© Ă  s’exprimer sur un Ă©ventuel abus de position dominante. Et si l’issue de la procĂ©dure est incertaine, gageons qu’en cas de dĂ©faite, le gĂ©ant appliquera la mĂȘme politique qu’en Allemagne ou en Espagne lorsque ceux-ci tentĂšrent d’imposer des droits voisins : mettre tout le monde au rĂ©gime « un bout de titre, rien de plus » voire fermer Google Actus. Avec la mĂȘme consĂ©quence pour les titres de presse en termes de perte de visibilité : « un suicide pour la presse », les frais de justice en plus.Â